La Bête à Bon Dieu
La communication avec ou sans surprise
vendredi 16 octobre 2009, par Richard Bennahmias

Lisibilité : tel est le maître mot de la communication contemporaine. S’il veut être compris, l’émetteur d’un message doit l’adapter à la syntaxe et au vocabulaire du récepteur. Traduit en termes “lisibles”, cela signifie que pour être compris, un message ne doit surtout pas bousculer les habitudes de son destinataire.
Établir une communication suppose certes une reconnaissance réciproque de l’émetteur et du récepteur, donc un minimum de vocabulaire et de syntaxe communs. Mais est-ce suffisant ? Cette conception de la communication présente en effet quelques inconvénients.
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Communication en circuit fermé

Le premier d’entre eux, comme nous pouvons le constater, est qu’elle conduit à un appauvrissement croissant de la syntaxe et du vocabulaire commun. Et quand les mots manquent pour dire les maux… il ne reste plus que la violence.

Par ailleurs, cette conception de la communication devrait en principe interdire tout apprentissage, sauf à supposer que l’on n’apprend jamais que ce que l’on sait déjà. C’est ce que pensait le philosophe antique Platon. Pour lui, tout apprentissage consistait simplement à se remémorer des choses inscrites dans la mémoire de l’humanité depuis la fondation du monde. L’enseignement consisterait ainsi à faire accoucher l’élève de choses que, même à son insu, il saurait déjà.

Plus profondément, cela correspond à une conception de la vérité qui est depuis toujours déjà là et que la science, la sagesse où la religion ont pour seule vocation de révéler.

Comment dans ces conditions transmettre la nouveauté d’un message radicalement différent, totalement étranger, fondamentalement autre ?

Au commencement était l’ouverture

Pour que s’établisse un flux de communication, il faut que l’émetteur possède quelque chose que le récepteur n’a pas. Il faut qu’il y ait un déséquilibre que la communication va résorber. Ce serait quand même un comble que le principe des vases communicants ne s’applique pas à la communication ! On peut même dire que, de même que l’écoulement des eaux creuse le lit des rivières, de même, la nouveauté et l’étrangeté du message suscitent la communication.

Si, de la vérité divine quelque chose est depuis toujours déjà là, c’est son étrangeté, son inépuisable nouveauté. Croire en un Dieu créateur, c’est croire que cette étrangeté et cette nouveauté sont à l’origine de toutes choses. La Création est une ouverture.

Tout ce qui s’oppose à cette ouverture est voué à la mort. Ainsi, une langue, une société ou un monde qui se referment sur eux-mêmes, restent sourds à tout apport étranger et rejettent toute nouveauté, se vouent eux-mêmes à la chute, à la dégénérescence et à la sclérose.

L’étrangeté du christianisme : une chance pour l’Europe

Et c’est bien de nous sauver de cette mortelle fermeture qu’il s’agit avec l’irruption du Christ Jésus dans l’histoire de notre humanité et de notre univers. C’est de cela qu’il s’agit avec la transmission de l’Évangile. Si nous restons attachés au christianisme, notamment dans son expression protestante, ça n’est pas par habitude (enfin, pas principalement…), mais c’est parce que nous croyons que la bonne nouvelle qu’il nous transmet nous réserve encore, à nous et à notre humanité, d’heureuses, d’inédites et de vitales surprises.

Il ne faut pas oublier que le premier évêque de la Capitale des Gaules, Irénée, était originaire d’Asie Mineure, c’est-à-dire de ce qui est notre actuelle Turquie (berceau du Christianisme), ni qu’Augustin d’Hippone, le théologien antique qui a le plus marqué et influence encore notre christianisme occidental, était berbère.

Le rôle que le christianisme a joué aux origines et dans le développement de l’Europe n’est pas de l’ordre de l’enracinement, mais du dérangement, de l’ouverture, du déplacement, du décentrement…

Et si, après des siècles d’acclimatation, le christianisme représente encore une chance de vie et de renouvellement pour notre Europe, ce n’est pas en raison de son enracinement, mais de ce qui, même dans ses expressions les plus familières, lui reste d’irréductible altérité et résiste à toute intégration.