La Bête à Bon Dieu
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pourquoi j’ai un grand-père juif et je suis protestant
mardi 8 décembre 2009, par Richard Bennahmias

Il n’y a pas de réponse générale à cette question : la conversion au protestantisme de l’un ou l’autre de tes parents fait partie de l’histoire de ta famille, et donc aussi de ton histoire. Eux seuls peuvent répondre. Je peux te dire ce qu’il en est pour moi.
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C’est mon père qui s’est converti, en même temps que l’un de ses frères. En 1933, quand sa famille est venue de Salonique pour s’installer à Paris, des copains avec qui ils jouaient dans la rue en bas de chez eux leur ont dit « Viens aux Éclaireurs Unionistes, tu vas voir, c’est bath ! » Mes grands-parents paternels ont trouvé que c’était mieux que de traîner dans la rue. Peut-être aussi qu’ils ont pensé que c’était bon pour leurs enfants qu’ils ne fréquentent pas que d’autres juifs.

Aux Éclaireurs Unionistes, beaucoup de leurs copains étaient protestants. À cette époque, ça ne s’appelait pas encore des « moments spi », aux Éclaireurs Unionistes, pendant les réunions ou les camps, « on faisait des cultes » : on ouvrait la Bible, on discutait sur ce qu’on y avait lu, on chantait des cantiques. Mon père, ça lui a plu. Et puis je crois bien qu’un peu plus vieux, il est tombé amoureux d’une cheftaine de louveteaux : ma mère… Un jour, il a constaté que l’Évangile qu’il avait reçu au travers des cultes, des discussions avec les copains éclaireurs, avec le pasteur quand il avait besoin de son aide pour préparer un culte, tout ça était devenu suffisamment important dans sa vie pour qu’il décide de devenir chrétien et protestant. Peut-être aussi que l’immigré juif italien qu’il était avait trouvé sa place de Français dans la communauté protestante à laquelle appartenait le groupe d’éclaireurs dont il était membre.

Je ne saurai jamais ce qu’en pensait mon grand-père : il a été arrêté en 1942 par la police française et il est mort au camp de Drancy. Mais je sais que ma grand-mère n’a jamais été aussi heureuse que quand le plus jeune de mes oncles s’est marié selon le rite juif pendant son service militaire en Algérie. Elle nous aimait bien, notre grand-mère, pourtant j’ai toujours eu le sentiment qu’il y avait du regret et de la nostalgie dans l’amour qu’elle nous portait. Comme si, avec la conversion de mon père et de son frère, quelque chose d’important s’était perdu, avait été coupé. Mais elle avait eu à affronter tellement d’épreuves qu’au fond, pour elle, le plus important, c’était la vie. Et nous, ces petits-enfants, nous étions pour elle un cadeau de la vie, un cadeau de Dieu ; même si elle ne nous a jamais parlé de Dieu.

Et toi, qu’est-ce qu’il en pense ton grand-père ? Et qu’est-ce que ça représente pour toi, que ton grand-père soit juif ? Peut-être que comme chez moi, ce sont des choses dont ne parle pas, ou si peu. Le plus important, c’est que tu gardes cette question ouverte dans ton cœur : les réponses viendront petit à petit, plus tard. Mais garde la question. C’est le lien qui te relie à la religion de ton grand-père et à tout ce qu’il regrette de ne pas avoir pu te transmettre.

Pour moi, j’ai fini par comprendre que la façon dont je comprenais l’Évangile de Jésus-Christ me venait aussi de mes racines juives : le goût pour la lecture de la Bible parce qu’elle contient la conviction inébranlable que la vie serait toujours plus forte que la mort. Même si cette conviction m’a été signifiée par l’eau de mon baptême chrétien, c’est de là qu’elle m’est venue ; la conversion de mon père n’a pas rompu le fil qui me rattache aux promesses que Dieu a faites à Moïse pour qu’il les transmette au peuple juif. Elle lui a seulement fait emprunter des voies nouvelles.