La Bête à Bon Dieu
Force et justice
où il apparaît que, sur la longue durée, le droit civilise la force
mercredi 10 février 2010, par Richard Bennahmias

Sur la courte durée, "Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste…" signifie que le droit est le résultat d’un rapport de force. Mais, la force ne pouvant se passer de repos, elle est soumise à la nécessité de fixer ses victoires dans la lettre de la Loi, et doit consentir à se soumettre à la Loi du langage. Sur la longue durée, la ruse des clercs consiste à prendre la force au piège de ses propres mots.
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L’aphorisme que nous livre Blaise Pascal dans ses Pensées est bien connu :

« Il est juste que ce qui est juste soit suivi ; il est nécessaire que ce qui est fort soit suivi. La justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite, parce qu’il y a toujours des méchants ; la force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force et pour cela faire en sorte que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste.

La justice est sujette à dispute, la force est très reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n’a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice et a dit qu’elle était injuste, et a dit que c’était elle qui était juste. Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste…

Ne pouvant faire qu’il soit force d’obéir à la justice, on a fait qu’il soit juste d’obéir à la force, ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que le juste et le fort fussent ensemble, et que la paix fût, qui est le souverain bien . »

Traditionnellement, on nous dit que l’Histoire, en tant que science, commence avec l’apparition des premiers documents écrits. Il n’est pas indifférent que le document par lequel on symbolise traditionnellement le commencement de l’histoire soit le Code d’Hammourabi, c’est-à-dire un document à caractère juridique. On peut probablement lui adjoindre des documents, plus modestes, attestant de l’utilisation de l’écrit à des fins d’échanges commerciaux. Par ailleurs, l’intérêt porté aux traditions orales au cours des dernières décennies a montré que l’inscription dans la mémoire pouvait avoir une force égale, sinon supérieure, à celle de l’écrit. Dans tous les cas, et depuis plusieurs millénaires, ce sont les clercs qui se sont imposés comme gardiens du langage.

La justification de la force a un prix.

Sur la courte durée, en inscrivant sa victoire dans le droit, c’est le fort qui impose sa Loi au faible. Mais ce faisant (et pourquoi le fait-il ?), le fort consent à se soumettre à la Loi du langage. Et il place le clerc en position d’arbitre. Et ainsi commence la longue marche de la justification de la force … et de sa civilisation par le langage.