La Bête à Bon Dieu
À quoi ça sert de déplacer les montagnes ?
Confiance et puissance
Luc 17, 1 à 10
dimanche 3 octobre 2010, par Richard Bennahmias

La possibilité de déplacer les sycomores, les montagnes ou les foules est-elle le bénéfice que nous escomptons de notre confiance en Dieu et de notre fidélité à son égard.
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Qu’en est-il de notre foi ? Nous avons dit aux sycomores : “Déracine-toi et va te planter dans la mer” et les sycomores sont restés à leur place. Devons-nous vraiment imputer la désobéissance des sycomores à notre manque de foi ? À supposer que les sycomores entendent, et qu’ils aient été en mesure de nous répondre, peut-être auraient-ils protesté de ce que la mer n’est pas leur milieu naturel, que le sel allait brûler leurs racines et qu’une manifestation aussi éclatante qu’inutile de notre foi les condamnait à mort.

La question est bien plutôt de savoir si la possibilité de déplacer les sycomores, les montagnes ou les foules est bien le bénéfice que nous escomptons de notre confiance en Dieu et de notre fidélité à son égard.

La foi est-elle une question de plus ou de moins

“Augmente en nous la foi.” Cette demande formulée par les apôtres laisse déjà entendre que pour eux, c’est le cas. Ils se sont mis à la suite de ce qui n’est peut-être encore à leurs yeux qu’une sorte de gourou. Ils ont vu les foules se masser au pieds de Jésus, ils l’ont vu y opérer des miracles. Certes, Jésus n’a jamais envoyé de sycomore se faire brûler les racines dans la Mer Morte, mais par ses guérisions, combien d’hommes de femmes et d’enfants n’a-t-il pas remis sur les chemins de la vie. Pour les apôtres, ces miracles sont sans doute avant tout des manifestation de puissance. Peut-être au plus profond d’eux-mêmes espèrent-ils qu’en retour de leur obéissance, le maître leur fera partager le secret de cette puissance apparemment sans limites.

Vous avez remarqué aussi que le passage que nous avons lu ne parle pas des "disciples", mais des "apôtres", ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Les disciples, ce sont ceux qui suivent leur maître pour recevoir de lui des leçons. Les apôtres, ce sont des disciples déjà formés que le maître envoie loin de lui avec pour mission de diffuser autour d’eux les leçons qu’ils ont reçues de lui. Les disciples reçoivent, les apôtres donnent. Les disciples sont avec le maître, les apôtres sont séparés du maîtres, livrés à leurs seules ressources.

Si ce sont des "apôtres" qui s’adressent à Jésus, c’est parce qu’ils sont en retour de mission. Et s’ils posent cette question bizarre à Jésus : "Maître, augmente en nous la foi.", c’est peut-être qu’en mission, les choses ne se sont pas passées de façon satisfaisante à leurs yeux et qu’ils attribuent leur difficultés à un manque de foi de leur part. Comme si la foi, autrement dit : la confiance, était une question de quantité : petite foi = petits effets, grande foi = grands effets ! De l’impuissance totale dans laquelle nous avons souvent l’impression de nous trouver à la toute-puissance que nous prêtons volontiers à la divinité, il y a toute une échelle de possibilités. À force de travail ou d’intrigue, nous pourrons peut-être augmenter notre puissance personnelle, c’est-à-dire le pouvoir que nous sommes en mesure d’exercer sur les autres pour qu’ils satisfassent nos désirs ou qu’ils accomplissent ce que nous estimons être bon pour eux ou la collectivité. Cette puissance pourra augmenter au gré de notre habileté et de notre chance ou ou diminuer au gré de nos erreurs et de nos revers de fortune. Mais est-ce de cela queil s’agit avec Jésus ?

"Jamais assez !" ou "ça suffit !"

Jésus répond à la demande des apôtres en racontant deux paraboles et en concluant par ce qui semble être une morale tirant la conclusion de la deuxième parabole. Si nous sautons par dessus les deux paraboles pour considérer cette "morale" comme une réponse directe à la demande des disciples, nous la comprenons cette morale tout autrement qu’une invitation à toujours plus de soumission : à la demande des disciples "Augmente en nous la foi", Jésus répond : "En tant que serviteurs qui rentrez du travail, vous avez fait tout ce qu’il fallait. En tant que serviteurs, vous êtes des serviteurs ordinaires : pourquoi voulez-vous réaliser des choses extraordinaires ? Est-ce cela que vous attendez de ce que vous appelez ’la foi’ ? "

Quand les disciples demandent à Jésus “Augmente en nous la foi”, force nous est d’entendre derrière cette demande une autre demande : “Augmente en nous la puissance.” Jésus ne s’y trompe pas : les deux paraboles qu’il raconte aux apôtres sont comme un mirroir qu’il leur tend pour leur faire prendre conscience du ridicule de leur demande.

À la demande d’une augmentation, Jésus répond par un minuscule grain de moutarde. La foi n’est pas un question de plus ou de moins. La foi, on l’a ou on ne l’a pas, un point c’est tout ! Ou bien on a choisi de suivre Jésus avec confiance et fidélité comme les disciples, ou bien on reste sur le bord du chemin comme ces foules que Jésus laisse sur son passage. Mais on ne peut pas être plus ou moins confiant, ni plus ou moins fidèle. Jésus veut faire comprendre aux disciples qu’en le suivant, ils manifestent toute la foi dont ils ont besoin. Et qu’en les envoyant comme apôtres, il leur a donné tout ce dont ils avaient besoin pour rendre le service qu’il attendait d’eux.

La confiance et la puissance

La foi n’est pas une sorte de “mana” qui conférerait à celui qui la possède des pouvoirs magiques. L’image du sycomore qu’on envoie se planter en pleine mer est là pour ridiculiser cette conception. Déplacer les sycomores, c’est peut-être épatant, c’est sans doute très fort, mais ça n’a ni queue ni tête : ça ne rend service à personne, ça ne guérit personne, ça ne libère personne. Si les disciples attendent de leur allégeance à l’égard du Maître qu’elle leur confère une part plus ou moins importante de la puissance qu’ils prêtent à son Dieu, alors ils sont comme des sycomores qu’un fou mégalomane aurait replanté dans la mer et dont les racines seraient stérilisées par le sel.

Si la puissance était une affaire de foi, alors même les sycomores entendraient, écouteraient et obéiraient. Mais les sycomores n’ont pas d’oreilles, ils n’entendent pas et ils ne se soumettent qu’à la scie, à la hache, à la pelle ou à la pioche. On peut commander une troupe à la voix, mais pour ce qui est de jardiner, même une forêt de sycomores, il vaut mieux employer d’autres moyens. La foi, c’est la manière dont nous nous soumettons librement à une autorité. Et si l’on commande à la voix, c’est que l’autorité est une affaire de parole ; de parole donnée et de parole tenue. Ça n’est pas une affaire de puissance, mais une affaire de relation. Les disciples le savent bien, qui ont été appelés par Jésus, qui l’ont entendu, qui l’ont écouté et qui se sont à attachés à sa suite. Ce ne sont pas les sycomores que la foi déplace comme des potiches. Ce qu’elle déplace, ce sont les êtres humains, et c’est pour les relever et les mettre en marche. Et d’être à leur tour capables de marcher seuls, sans plus avoir besoin d’un maître à suivre.

La voix de son Maître

Et pour bien montrer que la foi est une affaire certes d’autorité, d’obeissance et de commandement, mais surtout de parole, de confiance et de fidélité, Jésus complète sa réponse à la demande des disciples par une autre parabole où il est question d’un maître et d’un serviteur. Au début, Jésus invite ses auditeurs à se mettre à la place du maître : “lequel d’entre vous, s’il a un serviteur…” Mais quelle sont la puissance et l’autorité de ce maître qui n’a même pas une servante pour préparer ses repas et ceux des ses ouvriers après une journée de dur labeur ? Non content de n’avoir qu’un seul ouvrier, il l’exploite jusqu’à la corde sans doute parce que c’est là son seul luxe. La position est somme toute confortable pour celui qui l’occupe, même si elle correspond à des conditions perverses d’exercice du commandement et de l’autorité. Cette autorité despotique, chacun d’entre nous ne rêve-t-il pas de la détenir et de l’exercer, ne serait-ce que sur une seule personne ? N’est-ce pas ce désir puéril de toute-puissance qui se cache derrière la demande ambiguë d’augmentation de leur foi que les disciples adressent à Jésus ?

Dans sa conclusion, Jésus inverse les rôles sans prévenir. Nous voilà tout à coup mis à la place du serviteur. La position est certes moins confortable, mais pleine d’enseignements. Sommes-nous prêts à donner notre foi à une autorité aussi abusive que celle que nous souhaitons secrètement détenir sur les autres ? Et si nous le sommes, n’est-ce pas dans le secret espoir de recevoir de cette autorité le pouvoir d’exercer à notre tour cette tyrannie sur autrui ? Il y a hélas là le secret ressort de bien des dévouements excessifs. Ne dit-on pas des personnes qui poussent la serviabilité jusqu’à savoir mieux qu’autrui ce qui est bon pour lui qu’elles sont “bien obligeantes” ?

La voix du Maître, nous pouvons lui donner les pleins pouvoirs sur nous. Après tout, l’obéissance est une sécurité. Nous pouvons céder à la tentation d’être des serviteurs en tous points conformes à ce que le Maître attend de nous. Il est peut-être bon "d’avoir des valeurs", comme on dit. Mais si nous ne maîtrisons pas "nos valeurs", elles peuvent aussi devenir pour nous et pour les autres un maître despotique qui nous en demande toujours plus, qui n’est jamais satisfait et qui finit par nous épuiser.

Des serviteurs ou des amis

Jésus désamorce cette tentation d’abord en affirmant que nous sommes des serviteurs quelconques. Autrement dit, le Dieu de Jésus a suffisament de ressource et de serviteurs pour ne pas en être réduit à les exploiter jusqu’à la corde. Les forces qu’Il leur donne sont à la mesure de ce qu’Il attend d’eux. Et la foi qu’il attend d’eux n’a rien à voir avec cette obéissance servile dont Jésus nous offre la caricature. Elle est confiance et fidélité librement accordées par ceux qu’il appelle.

Mais sommes-nous pour Dieu et pour Jésus des serviteurs, et des serviteurs quelconques ? Ça n’est certes pas dans l’Évangile de Luc que Jésus tient ses propos, mais dans celui de Jean : d’un bout à l’autre de l’Évangile, jésus ne cesse de répéter à ses disciples, au moment où il va se séparer d’eux : "Vous n’êtes plus des serviteurs, mais des amis". Nous sommes les amis de Jésus, et par Jésus, les amis de Dieu. Le maître qui reçoit son serviteur retour des champs en l’invitant à se mettre les pieds sous la table se comporte avec lui en ami et non plus en maître.

Et même si nous n’avons pas compris les paroles qui ont été prononcées pour nous le jour de notre baptême, nous nous en souvenant : ce jour là Dieu s’est adressé à nous par notre nom. Cela signifie qu’en Jésus-Christ aucune ni aucun d’entre n’est quelconque au yeux de Dieu.

La voix de l’Ami

Des montagnes à soulever, dans nos existences, nous en avons rencontré. Des moments où une petite voix morbide nous sussurait : "laisse tomber, c’est mort !" Une petite voix qui nous invitait à couper le lien de la confiance, en nous-mêmes, dans la vie, en Dieu. Une petite voix qui nous invitait à renoncer, à nous résigner à la servitude devant l’adversité. Et quand la petite voix qui dit "Accroche-toi, tu vas t’en sortir, rien n’est perdu !" a réussi à prendre le dessus, c’est Dieu qui avait mis le couvert pour nous inviter à boire et à manger, pour nous rendre la force, la joie et le courage. La foi, ça n’est pas une question de plus ou de moins. La foi, ça consiste d’abord à ne jamais couper le lien avec cette petite voix là.

Chacun par notre nom, nous sommes invités à accomplir par vocation les tâches particulières et limitées que Dieu nous confie. C’est pourquoi, quand nous faisons ce qu’une conviction personnelle et responsable, éclairée par la confiance et la fidélité en Jésus, nous incite à faire, nous ne pouvons justifier nos actes autrement qu’en disant : “nous avons fait seulement ce que nous devions faire.” Sans nous soucier des questions de quantité, sachons mesurer à ce “seulement” la fermeté de notre foi.