La Bête à Bon Dieu
Les mailles du filet
Jean 21, 1 à 19
samedi 19 août 2006, par Richard Bennahmias

Notre siècle est paraît-il celui des réseaux et de la communication. Nous sommes enserrés dans un maillage dense de réseaux : réseau familial, réseau relationnel, réseau ecclésial, réseau électrique, réseau routier, réseau téléphonique, réseau télématique…
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C’est la nuit.

La nuit en mer, l’incertitude est portée à son comble. Pour peu que la lune soit absente, tout, autour de vous, baigne dans l’obscurité. Comme si vous naviguiez dans le vide, au milieu du néant.

C’est la nuit en mer. l’obscurité a tout envahit. On entend seulement le clapotis dérisoire du filet qui frappe vainement la surface de l’abîme. Toute la nuit, au milieu de l’obscurité, les disciples ont lancé désespérément leurs filets. Et toute la nuit, leurs filets ne leur ont ramené que du vide.

Dans la lumière de l’aube se dresse soudain un inconnu qui ordonne : "Jetez le filet sur le coté droit !" ; un inconnu dont la parole déplacée inspire pourtant suffisamment confiance aux disciples pour qu’il y obtempèrent sans se rebeller. Comment se fait-il que Pierre, un pêcheur aussi expérimenté et aussi sûr de son expérience se laisse ainsi subjuguer ? Par lassitude, peut-être… L’homme d’autorité qu’est Pierre reconnaît peut-être aussi dans l’insolence de cet inconnu l’autorité de ce maître qu’il n’avait cru trouver que pour mieux le perdre.

Le filet se remplit … à tel point qu’il en devient trop lourd et qu’il menace de craquer. Non seulement ils vont rentrer bredouilles, mais, en plus, ils vont perdre leurs filets et peut-être même leurs barques.

Soudain l’un des disciples, celui que Jésus aimait, est saisi d’une intuition géniale : "c’est le Seigneur". Celui que Jésus aimait sait que, si on peut mourir par manque d’amour, trop d’amour peut aussi vous noyer. Mais une telle autorité, de qui d’autre peut-elle être que du Seigneur, de celui qui s’est noyé par amour. Cet inconnu qui les interpelle avec autant d’aplomb, c’est Jésus, son ami, son Maître, son Seigneur. Il le reconnaît et cette reconnaissance fait miracle : le filet tout à l’heure si lourd, les disciples réussissent à le tirer jusqu’à la rive. Le Seigneur donne un nouvel ordre et ce filet que, tout à l’heure, plusieurs hommes n’étaient pas arrivés à remuer, un seul homme le tire maintenant hors de l’eau. Comme si le filet était mû par la seule Parole de Jésus.

Tout le monde est maintenant à terre : les poissons dans le filet, le Seigneur et les disciples réunis autour d’un feu qu’ils n’ont même pas eu à allumer et d’un poisson qu’il n’ont eu ni à pêcher, ni à cuire. Comme lors du dernier repas pris avec lui avant sa passion et sa mort, Jésus prend le pain et le leur donne. Comme au jour de la multiplication des pains et des poissons, Jésus partage le poisson et le leur donne.

À l’aube d’un jour nouveau, le soleil éclaire la cène : lumière renouvelée, pain et poisson partagés en présence du Seigneur, image du Royaume de Dieu qu’inaugure la croix et que manifeste la résurrection. Depuis, bien des crépuscules, bien des nuits et bien des aubes se sont succédées. Le monde est-il retourné à sa nuit et à son néant, ou bien la lumière qui éclairait ce matin lointain a-t-elle eu assez de force pour arriver jusqu’à nous. Qui sommes-nous, pour que cette histoire nous concerne ? - Jésus est le pain partagé. - Jésus est aussi le poisson : IXTUS ; Jésus-Christ-Fils-du-Dieu-Sauveur. - Nous sommes aussi les poissons : tirés de l’eau dans la nuit, nous sommes appelés par Jésus à vivre dans la lumière ; poissons habitués tant bien que mal à nager entre deux eaux dans cette mer obscure et trouble que sont le monde et le temps présents ; poissons tirés de l’eau noire de la mort par la autorité de la seule Parole du Christ. - Peut-être sommes-nous aussi le filet ? Dans ce monde où le Règne de Dieu n’est encore qu’une espérance, dans ce monde qui ressemble trop à une mer obscure et instable, sans points d’appuis vraiment fiables, nous sommes le filet : - un filet qui ne tient sa solidité que de la foi en Christ - un filet qui n’est efficace que par la foi en Christ - un filet qui n’a d’autre but que de tirer des poissons hors de l’eau et de la nuit.

Notre siècle est paraît-il celui des réseaux et de la communication. Nous sommes enserrés dans un maillage dense de réseaux : réseau familial, réseau relationnel, réseau ecclésial, réseau électrique, réseau routier, réseau téléphonique, réseau télématique… Autant de filets dont le maillage nous emprisonne, mais dont la rupture est synonyme de catastrophe. Qui tire les ficelles de tous ces réseaux ? vers quels rivages nous tirent-ils ? Quel est le but de toute cette communication ? À quels destins inéluctables cet écheveau planétaire nous voue-t-il ? De quelles Parques est-il l’oeuvre fatale ? Est-ce un filet qui sauve ou un filet qui piège ?

Au milieu de ce méli-mélo obscur et trouble, nous nous sentons souvent dépassés, isolés, noyés, dispersés. Le réseau de l’Église est si fragile, si vétuste, et si lourd à la fois ! Pour peu que nous prétendions tenir nous-mêmes ce filet en main, nous devons reconnaître que nous ne cessons de lancer le filet dans la nuit, à l’aveuglette et sans rien rapporter. la concurrence et trop forte, trop de gens autour de nous vont à la pêche et avec des moyens dont nous disposerons jamais.

Et pourtant, autour de nous, jamais l’eau n’a été aussi trouble ni le désarroi aussi grand. Jamais la demande n’a été aussi forte en matière d’espérance. Dans ce monde désorienté, nous constituons un filet de sauvetage : un réseau léger, souple, fragile et discret. Tous ces défauts peuvent devenir des qualités si nous n’oublions pas les trois leçons de la parabole de résurrection que nous livre l’Évangile de Jean : - le filet ne tient son efficacité que d’un seul : Jésus-Christ, le Seigneur ; c’est lui qui tire les ficelles et qui l’oriente. - Le filet ne tient sa solidité que d’un lien ténu et pourtant plus solide que l’acier : la foi reçue de Jésus-Christ et partagée par lui. - Le filet ne tient sa raison d’être que de la vocation qui lui est assignée : tirer le maximum de gros poissons hors de l’eau en vue de l’avènement du royaume de Dieu manifesté dans l’ici et le maintenant de notre récit et de notre histoire par le partage du pain en présence du Seigneur.